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En Europe, les SPAC peinent à convaincre

Après avoir conquis les marchés américains, les SPAC cherchent à séduire les places boursières européennes, qui multiplient les appels du pied pour les attirer. Pourtant, ces sociétés « chèques en blanc » ont multiplié les échecs ces derniers mois et poussé les investisseurs à s’en détourner.

Un modèle en expansion ces dernières années 

Le principe des SPAC est simple : des « coquilles vides » s’intègrent sur les marchés financiers avec comme seul et unique objet social la perspective de racheter une société non cotée et de fusionner avec elle. À la tête de ces structures, des « sponsors », souvent connus pour leur sens aigu des affaires, sont chargés d’identifier les cibles et de les acquérir. Les investisseurs ont quant à eux la possibilité de récupérer leurs investissements avant le closing s’ils jugent le choix des sponsors peu judicieux. La société acquise deviendra, par extension, cotée en bourse. Pour les investisseurs, les SPAC offrent la promesse d’une diversification de leurs portefeuilles et de gains rapides. Pour les entreprises rachetées, la perspective d’une introduction en bourse plus rapide que par les chemins traditionnels est évidemment attrayante.

En 2021, 34 SPAC ont été introduites sur des marchés européens. Avec 13 d’entre elles, Amsterdam domine largement la concurrence européenne, devant Paris, Francfort et Londres. Un chiffre encore infinitésimal en rapport aux standards américains et les 600 SPAC créées à Wall Street, mais qui témoigne de l’attrait croissant de ce modèle. En 2021, 160 milliards de dollars ont été levés, soit deux fois plus que l’année précédente. Une nette augmentation certes, mais largement liée à des réalités conjoncturelles. Aux États-Unis, le marché a pu décoller grâce aux liquidités abondantes permises par la FED et le retour du goût du risque chez les investisseurs. Mais, malgré une bonne santé apparente, le modèle commence à se fissurer. Entre mai et septembre 2021, les SPAC n’ont ainsi recueilli « que » 39 milliards au second semestre, contre 88 milliards entre janvier et mars 2021, selon les données de SPAC Research.

Litiges en hausse

Comme pour les cryptomonnaies, la mode des SPAC a obligé la Securities and Exchange Commission (SEC), le gendarme américain des marchés, à émettre une très officielle mise en garde en mars 2021. De nombreuses célébrités, comme le rappeur Jay-Z ou la joueuse de tennis Serena Williams, se sont ainsi associées à des SPAC, poussant la SEC à rappeler qu’il n’était pas fiable d’acheter des actions d’une SPAC sur la seule base de la popularité de ses sponsors. « Les prospectus de SPAC sont souvent verbeux et techniques, mais à l’intérieur, c’est quand même très creux. On a vu arriver sur ce marché des joueurs de basket et des influenceurs, avec même tout récemment un SPAC dont l’objectif était d’en racheter un autre », explique Vincent Mortier, directeur adjoint des gestions chez Amundi. Et, par la même occasion, la SEC s’est promis de regarder de très près les indications communiquées par les SPAC, afin de garantir la bonne information des investisseurs. D’autant que, parfois, les projets demeurent extrêmement flous et les objectifs des SPAC très peu précis. « Beaucoup de SPAC se sont montées sur des thèmes liés à l’environnement. On vous demande de faire un chèque en blanc sur le fondement d’un mandat un peu vague. Je préfère savoir dans quoi j’investis, surtout s’il s’agit, comme c’est souvent le cas, de prendre un pari technologique fort » prévient Luc Pez, gérant du fonds Oyster Sustainable Europe chez Zadig AM.

Depuis plusieurs mois, les litiges contre les dirigeants des SPAC sont devenus monnaie courante. Au premier trimestre 2021, parmi les 276 SPAC ayant finalisé ou annoncé une opération, 12 % d’entre elles ont vu leurs dirigeants poursuivis en responsabilité civile. Dans le même temps, les recours de la part d’actionnaires déçus se sont multipliés, ceux-ci estimant que les entreprises rachetées n’étaient pas assez mûres pour rentrer en bourse. Signe de la perte de confiance des investisseurs dans le modèle, entre juin et septembre 2021, 52,4 % d’entre eux ont fait le choix de sortir et de revendre leurs titres, alors qu’il n’était que 10 % lors des trois premiers mois de l’année et 21,9 % au second trimestre.

Des échecs récents

En France, la réputation des SPAC a été plombée par des échecs récents. Les ambitions de la SPAC DEE Tech, dont l’introduction en bourse date de juin dernier, ont tourné court après l’échec du rachat de Colis Privé, alors même que le projet était porté par Marc Menasé, cofondateur de France Digitale. De son côté, La SPAC 2 M Organix, lancée notamment par Xavier Niel et Matthieu Pigasse, peine à trouver une cible dans le domaine du bio ou de la distribution, après plusieurs échecs notables, comme les rachats du groupe Louis Delhaize ou encore Grand Frais. Une réalité qui ne se limite pas au marché français, 44 % des SPAC introduits en bourse en 2007 aux États-Unis n’avaient, en 2020, toujours pas identifié de cible.

Certains sponsors à la crédibilité douteuse

Loin des stars du sport, certains sponsors traînent avec eux une réputation problématique. Le cas du SPAC américain Golden Falcon (GFX) apparaît ainsi comme emblématique des problèmes de transparence et de conformité qui minent la confiance dans ces sociétés. Golden Falcon, introduit à la bourse de New York en 2020, est mené par le Libanais Makram Azar, un ex-banquier de la Barclays. Monsieur Azar fut accessoirement mis en cause en 2018 dans l’affaire du President Club, un club d’hommes d’affaires soupçonné d’être un réseau de prostitution de haut vol. Son SPAC, Golden Falcon ou GFX, a dû déclarer dès les 18 mai 2021 qu’il était incapable d’établir ses comptes en sincérité.

Le 25 mai 2021, le gendarme américain de la bourse, la SEC, inflige un avertissement à Golden Falcon « pour dépôt tardif du rapport trimestriel obligatoire pouvant conduire au retrait du marché ». Alors même que la SPAC compte, dans son conseil d’administration, des membres très côtés du secteur financier, comme l’ancien Président de la bourse anglaise, le Français Xavier Rolet. On y trouve aussi Isabelle Azoulai, une directrice de la holding luxembourgeoise LaMaison Partners, la petite holding d’investissements créée avec l’ex-banquier Michel Cicurel. Un an après avoir conclu son introduction en bourse pour 345 millions, Golden Falcon n’a toujours pas réalisé d’acquisition ni effectivement remédié à ses problèmes de contrôle interne.

Face aux excès américains, les places boursières européennes comptent mettre des verrous permettant une meilleure protection des investisseurs afin de créer un cadre réglementaire adapté. Un système de « structure de rémunération en escalier », qui aligne la rémunération des sponsors à la progression du cours de bourse devrait d’ores et déjà se diffuser en Europe, posant peut-être les fondements d’un modèle de « SPAC à l’européenne », préservée des errances américaines.